Fatigue des structures - Analyse de tolérance aux dommages

Le dimensionnement en tolérance aux dommages est une alternative au dimensionnement en durée de vie totale.

Principe de l’analyse

Dans le cas du dimensionnement en durée de vie totale on s’assure que le composant mécanique survivra durant l’intégralité de sa durée de vie. La rupture prévue (par exemple par la détermination d’un diagramme de Wöhler) ne se produit que bien au-delà de la durée d’exploitation du composant. Cette approche est généralement couteuse et nécessite de très nombreux essais en fatigue pour la détermination du diagramme d’endurance (de Wöhler).

Le dimensionnement en tolérance aux dommages consiste quant à lui à déterminer une taille de défauts alimite, détectables, dont on pourra garantir qu’ils n’entraîneront pas de rupture durant un intervalle de temps défini. En prenant idéalement cet intervalle de temps Δt comme intervalle d’inspection et en écartant tout composant comportant des défauts dont la taille est supérieure à alimite on assure ainsi la survie du composant jusqu’à la prochaine inspection. En réalité on choisit l’intervalle d’inspection plus court, par exemple Δt/2 pour avoir au-moins deux chances de détecter un défaut de taille supérieur à alimite.

Un dimensionnement en tolérance aux dommages permet également d’avoir un contrôle sur des facteurs extérieurs (corrosion, chocs subis,…) pouvant apporter des modifications dans la structure et donc modifier le comportement en fatigue du composant.

Si on considère un chargement à amplitudes constantes le calcul nécessite la détermination de la charge extrême. La charge extrême est la valeur maximale des efforts susceptibles d’être rencontrés en service (= charge limite) multipliée par un facteur de sécurité (généralement 1.5). Ensuite pour chaque taille de défaut détectable on trouve un délai correspondant à la croissance de ce défaut jusqu’à la rupture lorsqu’il est soumis à la charge extrême.

Si le chargement n'est pas constant mais à amplitudes variables alors le calcul nécessite quelques choix et hypothèses supplémentaires dont un "modèle de retard".

 

Les étapes d’une analyse de tolérance aux dommages

  • Détermination de la distribution initiale de tailles de défauts
  • Détermination de l'historique de chargement de la structure
  • Analyse structurale pour identifier les zones critiques
  • Calcul des facteurs d’intensité de contrainte K (fonction de la géométrie des fissures et des chargements appliqués aux zones critiques)
  • Acquisition des données de comportement en fatigue du matériau utilisé
  • Calcul de la la courbe de croissance des fissures
  • Calcul de la résistance résiduelle pour chaque taille de fissure et déduction de la durée de vie
  • Comparaison de la durée de vie calculée et la durée de vie requise par les normes ou le cahier des charges
  • Re-design si nécessaire
  • Essais sur échantillon afin de vérifier les prédictions du modèle
  • Détermination des intervalles d’inspection

Voici le résumé, en anglais pour se rapprocher de la terminologie utilisée dans la littérature:

Processus type pour une analyse de tolérance au dommage dans le cas "Slow Crack Growth - Large Cracks".

 

Détermination de la distribution initiale de tailles des fissures

L'objectif principal est de déterminer la taille maximale des défauts présent initialement dans la structure, elle est généralement désignée par a0.

Ces informations proviennent soit de normes métiers qui spécifient pour un matériaux donné et un process de fabrication la taille des fissures, soit d'une analyse destructive extensive qui permet de mesurer précisément la distribution de taille des fissures initiales, soit d'une analyse non-destructive qui permet d'assurer pour chaque pièce la taille maximale des fissures présentent au moment du contrôle.

Performances de différentes méthodes de contrôle non-destructives:

Méthode Position Taille limite [mm]
Courant de Foucault proche surface 0.1 à 1
Ultrasons interne 0.4 - 1.6
Fluorescent penetrant surface 1.5 - 2.5
Particules magnétiques proche surface 0.25 - 0.5

 

La taille maximale des fissures présentes initialement dans le matériau, a0, ne doit pas être sous-estmée afin d'assurer une analyse "conservative", c'est à dire que la durée de vie du composant sera au-moins égale à la valeur calculée. D'autre part on ne peut pas surestimer grossièrement la taille maximale des fissures initiales car on aboutirait alors à une durée de vie prévue qui n'est pas réaliste et qui engendrerait des intervalles d'inspection et/ou un sur-dimensionnement inutiles et couteux.

 

Détermination de l'historique de chargement

Pour le calcul de la durée de vie on aura besoin de connaître les charges qui s'exercent sur le composant. Le cas le plus simple est celui d'une charge appliquée de manière cyclique avec une amplitude constante.

Cependant dans la pluspart des applications (aéronautique, ferrovière) la charge n'est pas constante mais varie aléatoirement entre avec une certaine distribution d'amplitude. On obtient cette distribution soit par des mesures in-situ soit par des normes métiers qui déterminent les conditions de charge standards.

L'effet d'une certaine charge sur la propagation d'une fissure dépend des charges que le matériau a connu précédemment. Donc dans le cas où l'on possède une "distribution" d'amplitudes (non-constantes) on va faire trois choix supplémentaires:

- Modèle de retard

- Niveau de seuil

- Séquençage

Voici une graphique qui présente la propagation d'une fissure calculée pour une même distribution d'amplitude de charges, mais arrangé chronologiquement de manière différente:

Source: Shih & Wei (1974)

 

Modèle de retard ("retardation model")
Une charge élevée qui intervient dans un cycle a pour effet de diminuer la propagation des fissures pour les charges suivantes, c'est ce que l'on appelle "effet de retard" (retardation en anglais). On doit cet effet à la zone plastique qui se forme en pointe de fissure lors de l'application d'une charge élevée.

On note également qu'une charge élevée en compression diminue ou annule l'effet de retard d'une charge élevée en tension.

Source: Schijve & Broek (1962)

 

Pour prendre en compte ces phénomènes dans le calcul de la propagation d'une fissure sur une séquence de chargement non-constant on utilise alors un modèle, dit "modèle de retard" (retardation model).

Les principaux modèles sont:

  • Modèle de Wheeler: ce modèle utilise un facteur de réduction de la propagation de la fissure qui dépend des rapports de taille entre la zone plastique du cycle actuelle et celle du cycle précédant.
  • Modèle de Willenborg: il utilise également l'évolution de la taille de la zone plastique pour tempérer la propagation de la fissure.
  • Modèle Bell & Creage: l'un des premiers modèle proposé; il utilise de nombreux paramètres expérimentaux ce qui le rend difficile à appliquer.

 

Niveau de seuil:
Il s'agit du niveau maximal de charge que l'on va considéré, avec une certaine occurance sur l'ensemble des cycles que va subire la structure. On prend souvent comme niveau de seuil la charge qui sera dépassée 10 fois sur 1'000 cycles. Choisir un niveau de seuil plus élevé et moins fréquent revient à faire une analyse moins conservative (à cause de l'effet de retard).

Séquençage:

Lorsque l'on dispose de données de chargement probabilistes, comme un spectre de dépassement (exceedance spectra) on place d'abord les charges déterministes (celle dont on connaît le moment où elles se présentent) puis on place aléatoirement des cycles avec les charges probabilistes...

Outre l'influence du modèle de retard il y un deuxième aspect qui a de l'importance dans la définition et l'ordre dans lequel les cycles de charge sont considérés.

Considérons deux cycles de chargement (1) et (2) qui engendrent une variation du facteur d'intensité de contrainte entre A et B tel que représenté dans le graphique ci-dessous:

En admettant que la loi de propagation d'une fissure est donnée par la loi de Paris, Δa = C ΔK4, on obtient pour les deux cycles les valeurs présentées dans le tableau ci-dessous. On observe alors un comportement peu réaliste où le cycle (2) génère une propagation de fissure nettement moins importante que le cycle (1). Or les deux cycles font globalement une excursion entre A et B !

Pour modérer cette problèmatique on applique généralement une méthode de comptage. La première consiste à regroupper les cycles par "pairs". De le cas (2) ci-dessous on aurait alors une paire consitituée d'un cycle entre A et B complété par un sous-cycle ΔK4

 

Cyle Croissance d'une fissure (comptage brut)
(1) Δa(1) = C (ΔK1)4 = C (8δ)4 4096 Cδ4
(2) Δa(2) = C (ΔK2)4 + C (ΔK3)4 = 2 C (6δ)4 2592 Cδ4
Cyle Croissance d'une fissure (comptage par "pairs")
(2) Δa(2) = C (ΔK2)4 + C (ΔK4)4 = C (8δ)4 + C (4δ)4 4352 Cδ4

 

Il existe une seconde méthode de comptage (rainflow counting) où l'on considère les oscillations de la manière suivante (voire l'illustration ci-dessous):

- on retourne le spectre de 90°

- on considère les oscillations dans l'ordre où l'eau s'écoulerait sur la géométrie ainsi définie

- on reprend sur le surfaces sèches et une surface mouillée n'est pas considérée une seconde fois.

Technique de séquençage de la "chutte d'eau" (rainflow counting)

 

Déduction de l'historique du facteur d'intensité de contrainte dans les zones critiques

A partir du moment où l'on connaît l'historique de chargement de la structure à étudier on peut déterminer les zones critiques, celles où les fluctuations de contraintes locales sont les plus grandes et celles où les oscillations se passent à contraintes élevées.

On utilise généralement des simulations par éléments finis (FEM) pour effectuer cette analyse. Cependant dans des cas particuliers (comme celui de la "poutre") on connaît les zones critiques ainsi que la solution analytique qui donne la valeur de la contrainte en fonction de la charge extérieure (par exemple au niveau de l'extrémité de la poutre). Certains matériaux permettent une mesure de l'état de contrainte local par mesures non-destructives.

Un fois les zones critiques choisies l'étape suivante consiste à calculer l'historique des contraintes locales S.

Puis on en déduit le rapport avec le facteur d'intensité de contrainte K = K(β, S, a) où β est le facteur de correction géométrique, S est la contrainte locale en abscence de fissure et a la demi-longueur de fissure.

Ce facteur de correction β dépend du type de fissure, les deux cas généralement étudiés sont:

  • Les fissures de surface
  • Les fissures de coin

Types de fissure.

 

Pour les cas extrèmement complexes où l'on ne dispose pas de données bibliographiques pour β on utilise alors la simulation par éléments finis afin de déterminer le facteur d'intensité de contrainte autour d'une fissure. Ce type de calculs requiert un maillage extrèmement fin dans le voisinage de la fissure simulée.

Notons que l'historique des ΔK des cycle successifs ne peut pas se faire à ce moment là puisque ΔK dépend de a. Les ΔK seront calculés lors du processus itératif d'intégration que l'on fera ultérieurement.

 

Acquisition de la loi de propagation da/dN

Pour caractériser un cycle en fatigue il faut deux paramètre, typiquement Kmax et Kmin. On peut également travailler avec d'autres couples de paramètres, par exemple ΔK et Kmoyen ou ΔK et R (le rapport Kmin/Kmax = σminmax).

Ainsi pour chaque matériau les données de fatigue sont fonction de deux paramètres:

da/dN = f(ΔK, R)

Généralement on utilise ΔK et RK. Une large palette de matériaux sont traités dans un ouvrage de référence:

"Damage Tolerant Design (Data) Handbook (1994)"

On peut également faire un recherche dans les revues scientifiques ou lancer sa propre série de mesures afin de caractériser le matériaux qui nous intéresse. Cependant il s'agit là d'un travail de longue haleine...

On peut ensuite approximer les courbes expérimentales da/dN avec une loi de Paris (voir chapitre précédant), néanmoins il faudra être prudent par la suite pour appliquer la loi dans son domaine de validité.

 

Déterminer la courbe de croissance des fissures

Pour chaque cycle de l'historique de chargement on peut calculer l'accroissement de la longueur de la fissure avec la relation da/dN = f(ΔK, R) acquise précédemment et tracer la courbe a(N) qui donne la longueur de la fissure durant le cycle de vie. Notez que ΔK dépend de a, par conséquent une chargement à déplacement constant ne va pas générer un historique ΔK d'amplitude constante.

Si l'analyse se fait à amplitude non-constante alors on applique un modèle de retard. On utilise les résultats du cycle précédant pour calculer les paramètres propres au modèle de retard sélectionné (voir ci-dessus). Ces paramètres permettront d'ajuster la valeur de l'acroissement de la fissure pour le cycle en cours, on aura alors

da/dN = f(ΔK, R, modèle de retard)

En intégrant da/dN on peut ensuite déterminer la propagation d'une fissure au cours des alternances. Le processus se résume alors de la manière suivante:

  • pour le ième cycle on calcul Δai = f(ΔKi, Ri, modèle de retard si i>1)
  • on détermine les paramètres du modèle de retard qui s'appliqueront pour le cycle suivant
  • on déduit la nouvelle longueur de la fissure: ai+1 = ai + Δai
  • on calcul ΔKi+1 et Ri+1
  • on répète la séquence pour le (i+1)ème cycle

Notez que chaque calcul de ΔKi nécessite le calcul de βi qui est fonction de ai.

 

Résistance résiduelle, ténacité et détermination du point de rupture

Une structure endommagée ne présente plus la même résistance que la structure initiale. Ainsi pour chaque type et position de fissure étudié il faut s'assurer que la résistance résiduelle permettra toujours de supporter la charge maximale, quel que soit le niveau de croissance de la fissure, et ainsi d'éviter la ruine du composant. En d'autres terme la stucture doit être "tolérante aux dommages".

De plus, pour des valeurs de charges inférieures à celles qui engendrent la rupture immédiate on constate un domaine de chargement qui va provoquer une croissance instable et rapide de la fissure jusqu'à la ruine de la pièce. C'est donc cette plage de valeur qui va déterminer la "résistance résiduelle" du composant. Cette dernière dépendra donc:

  • du type de fissure considéré (facteur β)
  • de la position de la fissure et du type de chargement
  • de la taille de la fissure (a)

Ténacité

Pour chaque cycle, déterminer si la résistance résiduelle est suffisante revient en fait à déterminer si une fissure atteint ou non un état de croissance instable pour les conditions de chargement données. Pour se faire on compare la valeur du facteur d'intensité de contraine K avec une valeur tabulée Kcr .

Cette valeur est appellée ténacité (fracture toughness), elle dépend du matériau ainsi que de l'épaisseur de l'échantillon considéré. On la note générallement KIc pour les conditions de déformation plane (plane strain, échantillon épais) et Kc pour les conditions de contrainte plane (plane stress, échantillon fin).

 

Evolution de la ténacité en fonction de l'épaisseur de l'échantillon.

 

On trouvera une large quantité valeurs de ténacité dans l'ouvrage cité précédemment: "Damage Tolerant Design (Data) Handbook (1994)".

Ce critère de rupture est appelé critère d'Irwin, il se note donc:

K > Kcr

 

Diagramme de résistance résiduelle

Pour des conditions de chargement données et un matériau donné (avec sa ténacité), la résistance résiduelle dépend de la tailles des fissures. Lorsque la contrainte σ en pointe de fissure atteint une valeur σf telle que le facteur d'intensité de contrainte K dépasse la ténacité Kcr alors la limite de la résistance résiduelle est atteinte.

Ainsi le calcul du diagramme de résistance résiduelle se fait en exprimant σf en fonction de a dans l'équation:

On obtient une courbe σf vs a qui souligne la diminution de la résistance résiduelle selon l'allure suivante:


Diagramme de résistance résiduelle.

 

Point de rupture

En résumé, pour chaque cycle de l'historique de chargement on effectue une analyse de la résistance résiduelle afin de déterminer si l'on atteint une situaton de croissance instable qui marquerait la rupture du composant. Concptuellement la rupture est caractérisée par:

σmax = σf

où σmax est la contrainte maximale prévue par le cahier des charges, et σf est la résistance résiduelle.

 

Concrètement, comme nous l'avons vu ci-dessus cette identité est vérifiée lorsque:

K > Kcr

 

Données nécessaires pour l’analyse

Résumons les différentes données qu'il faut récolter pour effectuer l'analyse de tolérance aux dommages:

Matériau:

  • Distribution initiale de défauts (a0)
  • Loi de propagation da/dN
  • Ténacité Kcr

Géométrie:

  • Facteur géométrique β=β(a)
    Pour des configurations standards, ce facteur géométrique est donné sous forme de relations analytiques. Pour des cas plus complexe il peut également être calculé dans le cadre de simulations par éléments finis.

Chargement:

  • Historique σmin et σmax pour les zones critiques que l’on souhaite analyser

Certains modèles peuvent nécessiter d’autres paramètres tels que la limite élastique, fréquence, rapport de charge etc…

 

 

Essai de validation par surcharge (proof test)

On utilise généralement ce genre de test lorsque la ténacité Kc est faible, dans ce cas la taille de défauts admissibles ad est faible et inférieure au seuil de détection ad. Elle est également appliquée pour des structures dont la grande taille empêche une inspection globale (pipelines, cuves,…). A un moment donné, par exemple avant la première mise en service, on soumet la structure à une charge σsurcharge supérieure à la limite inférieure tolérable de résistance σp.

Pour un nombre de cycles donnés N, il y aura rupture s’il existe dans la pièce un défaut de taille supérieure à asurcharge,N. Dans le cas contraire on considère que la taille maximale des défauts est asurcharghe,N. La structure pourra alors opérer sans risque pendant un intervalle de temps correspondant à NH cycles, cet intervalle correspondant à la croissance des défauts de asurcharge,N à ap,où ap est la taille engendrant la rupture en NH cycles avec une charge σp.

 

 




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